Les déplacements offrent des terrains d’attention, des situations de disponibilité, des « états ». Je m’applique à mettre en place mon travail à partir de ces états qui sont un reflet sensible des expériences singulières.
Un voyage, l’entraînement sportif, un parcours quotidien, une correspondance, le retour chez soi ou encore le vêtement porté sont autant de manières d’appréhender la notion de mouvement, de préparer une prise d’appui.
   Le dessin, l’écrit, font partie des moyens d’expression dont je privilégie les occurrences afin d’éprouver et de rendre compte d’un habité dans la durée, à travers sa rugosité. Je travaille à construire des « effets de grilles », que ces grilles soient apparentes, centrifuges, en réserve, latentes ou qu’il s’agisse de processus méthodologique. Par exemple, j’aime ménager un espace aléatoire à la source visuelle de mes projets en ne produisant pas moi-même les images que j’utilise. Je suis attentive aux corpus collectifs, aux iconographies formées par la mise en commun de l’expérience visible, par le biais des mosaïques d’images Google, avec leur flux de pertinence, ou par celui des cartes postales, objets partagés géo-ésthétiquement. Je ne considère pas uniquement l’image, mais aussi son support (matériel, numérique). Certains de mes dessins, ou de mes projets, prennent donc un format relatif à un rapport écran, d’autres s’apparentent à la collection d’objets (ou de mots) trouvés.
Le choix de mes outils et de mes supports co-déterminent ma méthode : les stylos à bille, le papier, sont des matériaux légers que je peux transporter, ou laisser derrière. Des matériaux qui ne me retiendront pas plus que le temps qu’il me faudra pour y transcrire mes expériences. J’apprécie le fait que ces outils soient «à-portée-de-main», disponibles et partageables, comme le sont les images dont je m’empare. La légèreté à laquelle j’aspire apparaît dans ce que je laisse porter par le commun.
   Je compare parfois mon travail de dessin à une écriture manuscrite, une connaissance que l’on pourrait penser statique et qui pourtant se précipite en avant d’elle-même, que l’on a dans les doigts et que l’on fait jouer quand advient un espace propice à son apparition. J’entends l’écriture, chose que nous modelons en fonction des supports et des contextes, autant comme graphie que comme style.
   Un peu à la façon des «paysages empruntés», appartenant à une certaine esthétique japonaise, le cadre tient une importance primordiale dans ma façon de penser l’image. Au lieu de découper un espace, de déterminer un temps donné, le cadre peut suggérer la perception continue. Le cadrage contient une puissance de déplacement dans les marges et crée un potentiel en contre-forme.
Les marges sont aussi l’interstice entre chaque sujet, ces plages de respiration qui scandent les moments d’attirance et de station, dans un sens autant plastique que poétique.